Nous relayons et signons le communiqué ci-dessous, rédigé par 13 organisations lyonnaises suite au jugement d’une affaire de harcèlement sexuel en partie liée à l’ENS, et que nous suivons depuis plusieurs mois.
Pour la première fois dans l’histoire de l’Université Lumière Lyon 2, un enseignant-chercheur a été sanctionné pour “un comportement susceptible de constituer un harcèlement sexuel” (cf. jugement). En tant qu’étudiant·e·s et personnels mobilisé·e·s contre les violences sexuelles et morales dans l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, nous reconnaissons l’importance que cette question soit enfin prise au sérieux dans un établissement de la région lyonnaise. Cependant, si ce jugement est historique, son caractère exceptionnel ne doit pas nous faire oublier que le combat contre le sexisme et les violences sexuelles à l’Université est loin d’être terminé.
En effet, si nous ne disposons pas de statistiques précises à ce sujet, les nombreux témoignages que reçoivent les associations de lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’ESR (telles que le CLASCHES) et la révélation dans la presse de plusieurs affaires d’agressions sexuelles dans les établissements d’enseignement supérieur (comme ce fut le cas récemment à l’Ecole Polytechnique) nous montrent l’importance et la gravité de ce phénomène. Les établissements de l’ESR sont des lieux privilégiés pour les violences sexuelles : les relations de dépendance entre un·e étudiant·e et son enseignant·e, entre un·e doctorant·e et son/sa directeur/trice de thèse ou encore entre un·e gestionnaire de scolarité et son/sa chef·fe de service sont des situations favorables à l’émergence d’abus de pouvoir de toutes sortes.
Une enquête de 2016 relative à la composition sexuée de l’ESR notait que les postes subalternes sont très majoritairement occupés par les femmes et que cette tendance s’inverse plus on gravit les échelons : dès le doctorat, on trouve moins d’étudiantes que d’étudiants et ce jusqu’au plus haut grade, celui de Professeur des Universités. Or, ce sont d’abord les femmes qui subissent ces violences et harcèlement sexuels commis par des hommes (enseignants, chefs de service etc.). Cette répartition genrée dans l’ESR participe du silence et de la reconduction des violences que les femmes subissent. Plus précaires, plus pauvres et occupant des positions moins élevées dans la hiérarchie alors qu’elles sont plus nombreuses à travailler dans l’enseignement supérieur, les femmes sont les premières victimes d’abus sexuels et de harcèlement. Mais elles ont moins de pouvoir et donc moins de possibilité de se défendre contre ces violences.
Ainsi, comme dans tout milieu professionnel, les violences sexuelles dans l’ESR sont invisibilisées. Les agresseur·e·s occupant dans la majorité des cas une situation hiérarchique qui leur est favorable, les victimes sont isolées, voire culpabilisées. Les témoins, lorsqu’elles et ils identifient bien la limite entre une « relation de séduction » et un cas de harcèlement sexuel, peuvent également faire l’objet de pressions. Les directions des établissements étouffent quant à elles de nombreuses affaires de violences sexuelles, afin de préserver leur « réputation » : ainsi, un récent communiqué de la CGT FERC SUP souligne que la direction de l’ENS Lyon aurait failli à son obligation d’enquêter sur un cas de harcèlement que les militant.e.s CGT mandatés au CHSCT ont porté à sa connaissance.
Le cas sur lequel la section disciplinaire de l’Université Lyon 2 a eu à statuer est symptomatique de la manière dont certain·e·s universitaires peuvent abuser de leur pouvoir. En effet, le jugement ne souligne pas seulement des “gestes déplacés”, mais aussi et surtout ce que le CLASCHES, dans son communiqué du 12 juin 2018, qualifie “d’emprise” : selon les membres de la section disciplinaire, c’est au nom d’un “pacte”, de “règles du jeu”, d’un soit-disant “coaching”, que le directeur de thèse aurait multiplié les commentaires et injonctions vestimentaires, tenté un rapprochement physique avec sa doctorante, fait des allusions sexuelles sous couvert d’une réorientation des travaux de recherche et aurait même incité sa doctorante à commettre des actes illégaux (cf. jugement).
Par ailleurs, nous avons récemment appris que le Professeur des Universités sanctionné par l’Université Lumière Lyon 2 a fait appel de la décision de cette dernière au Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Or, nous savons qu’historiquement, cette instance statue quasi-systématiquement à l’encontre des jugements premiers des universités et diminuent les sanctions prises contre les enseignant.es coupables de harcèlement et d’agressions sexuelles. Ces conclusions s’inscrivent directement dans cette organisation hiérarchique et à dominante masculine de l’ESR où la “justice” se fait par les pairs et collègues qui se protègent mutuellement au mépris des victimes et sans aucun respect de la parité.
Au regard de la gravité des faits allégués dans le jugement de l’Université Lyon 2, nous exigeons que le CNESER prenne cette affaire au sérieux et poursuive la démarche de la section disciplinaire de Lyon 2. La réhabilitation de cet enseignant serait un message d’une extrême gravité envoyé à l’ensemble des étudiant.es et des personnels des établissements de l’ESR : à savoir que le harcèlement et les abus sexuels sont tolérés à l’Université. Pour nous, il s’agirait d’une décision inacceptable, niant purement et simplement la violence des épreuves que la victime a traversées.
C’est à nous tout·e·s de lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche. Nous sommes toutes et tous concerné.e.s.
Nous exigeons donc :
- Que les personnels des universités, des grandes écoles et des laboratoires de recherche, notamment ceux et celles occupant des postes à responsabilités, soient formé.es à la prévention du harcèlement et des violences sexuelles (directeurs/trices de recherche, professeur·e·s des universités, chef·fe·s de service, membres des instances (en premier lieu le CNESER !)).
- Que l’ensemble des comités de suivi de thèse suive un protocole défini pour détecter les situations de violences et/ou de harcèlement pouvant être subis par les doctorant.es et se voit rappeler leur seule et unique fonction de prévenir ou participer à l’arrêt de ces violences et non de suivre effectivement les travaux de recherche des doctorant.es.
- La mise en œuvre d’une véritable politique publique de lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’ESR.
- Des campagnes de communication diffusées largement qui puissent informer l’ensemble des membres de l’ESR sur le harcèlement et les agressions sexuelles et leur indiquer les lieux et personnes ressources dans chaque établissement.
- Que les étudiant.es harcelé.es et agressé.es sexuellement puissent bénéficier de l’aide juridique de l’établissement dont ils/elles dépendent (que les frais d’avocats soient, par exemple, pris à charge par l’établissement si besoin).
Sont également signataires de ce communiqué :
- ArcENSiel
- Collectif d’autodéfense et d’action féministes
- Coordination des Groupes Anarchistes Lyon
- CGT FERC Sup ENS Lyon
- Collectif des Doctorant·e·s et et Non-Titulaires de Lyon 2
- FNEC FP-FO Lyon 2
- Nouveau Parti Anticapitaliste 69
- Planning Familial 69
- SNASUB-FSU Lyon 2
- SNESUP-FSU Lyon 2
- Solidaires étudiant·e·s Lyon 2
- Sud Education Lyon 2
- UNEF Lyon
- Union des Etudiants communistes Lyon